Jour 41 - Club Med

5h du matin, une famille qui dormait à l'autre bout du wagon se prépare en trombes. Ils ramassent leurs affaires et s'apprêtent à partir. Etant réveillé, je vais les voir pour savoir ce qu'il se passe. Le père me répond "the americans". Oui d'accord, and what? Ils sont australiens et ont attendu toute la journée précédente d'être évacués avec leurs deux jeunes enfants. Ils font confiance aux hélicoptères américains, alors ils veulent être dans la file d'attente le plus tôt possible.

Ils laissent leurs sacs de couchage, je leur demande pourquoi. Le père me répond qu'on ne peut pas emmener de gros sacs dans l'hélico, alors faut se délester. Je prends son mail histoire d'avoir des nouvelles et savoir comment se passe les évacuations, informations intéressantes, surtout si je dois rester bloqué encore plusieurs jours.

Dehors, une file d'attente se forme en désordre alors qu'il fait encore nuit et que les évacuations ne commenceront que dans 3 ou 4h au plus tôt. Des gens sortent des wagons, des vieux qui ont dormi en ville arrivent à la gare pour être en bonne place, décision prise dès la veille. Je vois Carlos Rodriguez (le chef de la sécurité de la gare), je lui demande ce qu'il se passe, il ne sait pas trop. Finalement, Peru-Rail prend les choses en main et réordonne la file: d'abord les enfants (avec un parent) puis les personnes âgées. J'en profite pour lui reparler d'Henry: il est sur liste de 10 personnes malades et prioritaires, il va être ausculté par un médecin un peu plus tard. Cela fera dire à Henry qu'il se prend pour un politicien à avoir son nom sur autant de listes!

Rodriguez me montre les chiffres de la veille qu'il a noté sur un bout de papier: il y a eu 26 rotations d'hélicos, soit 460 évacués dans la journée, sachant que les hélicos de la police ont 20 places, ceux de l'armée 8 et les hélicos privés 5 ou 6. Il me dit que la veille, les problèmes n'étaient pas dus à Peru-Rail qui organisait les personnes pour les faire passer dehors vers l'héliport, mais une fois passé la grille de la gare, la municipalité désorganisait tout...

Un peu plus tard, l'armée arrive, c'est elle qui va prendre en charge l'intégralité du processus d'évacuation. Un colonel de Lima, très strict selon les rumeurs, vient d'arriver avec un régiment des forces spéciales, défilant en rang serré: cela va filer droit! Hadrien, un des français étudiant au Chili, a entendu le colonel faire une déclaration dans la gare: "vous me pouvez me filmer si vous voulez, me contrôler (allusion à la corruption), je suis là pour mettre de l'ordre".

Dans la matinée, alors que la rivière est encore enragée, je pars en ville pour trouver un accès Internet histoire de donner des nouvelles, choses que je n'ai pas faite depuis presque une semaine, et il paraît que Jean-Pierre Pernaut a parlé des évènements du Machu au journal de 13h (et quelques brèves dans Le Monde et sur iTV). Selon mes infos, il y a eu une plus grande médiatisation en Espagne, au Brésil aussi, peu étonnant vu la proximité du pays et la présence d'au moins 260 brésiliens, devancés par les 400 chiliens et surtout les 700 argentins (environ). Dans les cyber-cafés, il y a foule. Je mets mon nom sur une liste d'attente dans l'un d'entre eux. 3 minutes plus tard, une coupure de courant coupe mes espoirs d'Internet.

Sur la place principale, un envoyé de Lima, délégué au tourisme, fait un discours ferme, en gros: "tout le monde est dans le même panier, il faut s'entraider et respecter le déroulement des évacuations". Ensuite, se tient une petite réunion "Europe". En effet, les chiliens, argentins et brésiliens ont chacun leur petit stand sur la place... pas nous! Mais sous l'impulsion d'une belge et d'une espagnole, les européens, beaucoup moins nombreux, tentent aussi le regroupement. L'idée de ces 2 femmes, c'est de faire pression sur les ambassades pour qu'elle fasse quelque chose ensemble, de leur passer les même informations et de créer une nouvelle liste (encore?!). Par contre, elles sont un peu paranos, surtout l'espagnole, annoncant que les américains (alors qu'il paraît qu'ils ont déjà été en majeure partie évacués par les hélicos US...) commencaient à s'organiser pour pouvoir prendre le contrôle de la nourriture qui allait venir à manquer... les argentins feraient pareil... Bref, une réunion regroupant toutes les ambassades européennes va se tenir en début d'après-midi à Lima. Au final, cela ne donnera rien de spécial. L'Europe, ce n'est pas si facile que cela à faire marcher, il y a encore du boulot Monsieur Delors.

Je retourne à la gare, les français ont un peu l'air dépités, le ras le bol de rester dans cette gare et de dormir dans les wagons se fait de plus en grand. A midi, je retourne en ville où l'atmosphère est détendue et une distribution de nourriture annoncée. Finalement, les repas ne sont servis qu'à 14h30: pâtes au thon avec un verre d'eau. Je fais 2 fois le tour pour manger un peu plus (mais chut faut pas le dire).

Ensuite, un match de foot est évidemment organisé au stade. Je dis évidemment car il est impossible de laisser des centaines de brésiliens et des centaines d'argentins dans coincés au même endroit sans que la question footballistique ne fasse son apparition. L'affiche du match, vous l'avez deviner: Brasil-Argentina.

Durant toute l'après-midi, les hélicoptères dansent au-dessus de nos têtes, cela fait plaisir. Le courant est revenu dans une partie de la ville, je retente le coup des un cyber-café. Je mets à nouveau mon nom sur la liste... et au bout de 20 minutes d'une attente promettant d'être longue, le courant manque à nouveau. Décidemment, je suis maudit...

Dégouté, je rejoins quelques autres jeunes rencontrés dans la journée sur la place principale: des français, des belges, des brésiliens et même des brésiliens parlant français! Certains font un tour du monde pendant un an, d'autres seulement l'Amérique Latine... Dans la ville, on peut voir des affiches visant à organiser les évacuations (photo de gauche: "avis général, priorité: 1. plus de 60 ans, femmes enceintes, 2. femmes avec un enfant, moins de 18 ans... aidez-nous"). Bizarrement, elles ont toutes été taguées avec "gente con plata" en numéro 1, c'est-à-dire "les gens qui ont de l'argent".

Je retourne une nouvelle fois à la gare. Les français (Mickaël, Benjamin et les autres) partent en ville, ils veulent se trouver des hôtels, leurs assurances vont les remboursés. Peru-Rail nous distribue le repas du soir, un sandwich et des biscuits. Finalement, contrairement à ce que l'on pouvait envisagé au début, nous ne manquons pas de nourriture. Les français veulent se faire un restaurant, Antoine et moi préfèrons aller reprendre un repas complémentaire sur la place principale. Nous rejoignons tout de même les autres au restaurant, ils sont beaucoup plus enjoués, ayant pris une bonne douche et sachant qu'ils vont passer la nuit dans un vrai lit.

Anne-Thaïse, la femme de Benjamin, travaille en régie production sur les tournages de films ou de publicités. Elle nous raconte alors quelques anecdotes intéressantes. Certains acteurs sont invivables (je ne citerai pas de noms pour des raisons évidentes, je dirai qu'il y en a un qui commence par "Be" et finit par "rry" et qu'il mange des sveltesses à l'occasion), d'autres sont excellents, comme Jean-Pierre Daroussin qui détecte un problème sur sa Clio alors qu'elle le ramène chez lui et lui demande d'ouvrir le capot ou Kad Merad, hyper sympathique et toujours de bonne humeur. Elle nous parle aussi de Luc Besson, Jean Reno ou encore Mickaël Youn.

Durant le repas, Jean-Pierre, journaliste canadien (à Radio Québec je crois) nous a rejoints, il cherchait des français pour poser quelques questions. Il est venu en hélico depuis Cusco (alors que tout le monde veut faire le chemin dans l'autre sens!). J'ai déjà aperçu d'autres journalistes dans la journée, notamment une chaîne nommée TV Panamericana.

Avec Antoine, nous retournons à la gare à 11h, pas trop tard pour ne pas rester enfermés dehors, on en sait jamais! Il y a un ordinateur avec Internet qui a été mis à disposition dans la gare. Le gars me dit d'abord que je ne peux rester que 5 minutes. Ok, je vais faire vite, juste envoyer un petit mail à Maman et Papa pour dire que je suis vivant! 10 minutes plus tard, le gars me propose une banane et se met à écouter de la musique, me laissant tranquillement l'accès au net. J'en profite pour aller sur mon blog et vous écrire le message "Machu Picchu: J+2" (jeudi 28 janvier).

Et puis dodo dans mon wagon.

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