Jour 40 - Le camp de réfugiés

Deuxième jour à Aguas Calientes. Je me réveille avec le dos cassé, les sièges du train ne sont pas vraiment adaptés au sommeil. Je vais voir les nouveaux français, une petite dizaine en tout. Cela fait bizarre de voir tout un groupe de personnes parlant ma langue natale!

Dans la gare, les évacutations devraient commencer, mais il n'y a pas d'hélico en vue. Il ne faut pas trop de brume pour qu'il puisse voler dans la vallée. Il a plu toute la nuit mais cela s'est arrêté vers 6 ou 7h du matin. Diverses listes des personnes présentes sont commencées, cela part un peu dans tous les sens. Il n'y a quasiment aucune organisation, rien n'a été prévu pour une situation de ce type, bien que le Machu Picchu soit la première attraction du continent et qu'il n'existe qu'un seul accès, le train (qui permet de bien profiter de la manne touristique, le prix du billet de train étant excessivement excessif), mis à part les quelques pistes en forêt.

Il paraît qu'il existe une liste à la municipalité, située en centre-ville. Antoine y part en courant pour mettre nos noms: erreur. On apprend 3 minutes plus tard que la sécurité de la gare ne laisse plus entrer personne. Quand il revient, à 9h du matin, il est bloqué à la grille, enfermé dehors, moi enfermé dedans.

L'ordre d'évacuation est simple et logique: les malades, les enfants (accompagnés d'un parent), les plus de 60 ans, puis le reste par âge décroissant. Les personnes prioritaires sont parquées dans certains wagons, prêts à passer la grille au fond de la gare, marcher un petit kilomètre vers l'héliport puis s'envoler vers Ollantaytambo. Sous la houlette de Peru-Rail, la compagnie de train, cela s'organise plutôt bien à l'intérieur de la gare. Vers 9h30, une des françaises et sa fille sont dans cette file, le sourire jusqu'aux oreilles.

Devant la grille principale, une longue file se crée (peut-être plus de 500m), tout le monde étant pressé de partir et tout le monde sachant que les évacuations passent par la gare. Durant toute la journée, coincé à l'intérieur de la gare, je m'occupe en jonglant entre le groupe de français, les brésiliens du trek et la grille principale pour voir Antoine. D'autres personnes à la grille (des brésiliens, un belge, un américain, un suisse...!) me demandent ce qu'il se passe à l'intérieur, ils n'ont aucune information. Je n'ai ai pas beaucoup plus mais cela m'occupe... Selon les rumeurs il y a déjà entre 1 et 5 morts, dont 1 touriste argentine décédée dans un éboulement sur le Camino Inca... A midi, un communiqué de Peru-Rail annonce qu'il va y avoir 10 hélicoptères à partir de 14h: 4 de l'armée péruvienne, 4 envoyée par la DEA américaine (police anti drogue) et 2 privés affretés par Peru-Rail. D'après les brésiliens, leur ambassade souhaite envoyer des renforts, mais le Pérou refuse d'ouvrir son espace aérien... mais les Etats-Unis, eux, ils peuvent envoyer des hélicos, hum hum.

Dans la gare ne sont distribués que des petits sandwichs, et il n'y en a pas assez pour tout le monde. De la nourriture est distribuée dans le centre, Antoine peut au moins allé manger! Durant l'après-midi, l'énervement est de plus en plus présent dans la file, on leur demande de se ranger en file, puis on leur annonce que ce n'est plus la peine... En plus, les gardes semblent un peu perdus, ouvrant à certaines personnes suivant les âges et pas à d'autres, ouvrant parfois la porte pour la refermer aussitôt, le meilleur moyen de jouer avec les nerfs des personnes attendant depuis plusieurs heures.

Les officiels de l'armée, de la police, de Peru-Rail et de la municipalité se chamaillent dans un coin. Au lieu de se serrer les coudes et de s'entraider, ils se tirent dans les pattes, preuve de la belle organisation péruvienne. Des soupçons de corruption de plus en plus avérés apparaissent... le préfet ferait passer dess gens devant la file des prioritaires par un deuxième accès, des gens qui auraient payer une commission. Deux hôtels de luxe sont situés non loin de l'héliport, ils seraient déjà évacués.

Dans la gare, chacun s'occupe. Certains lisent, d'autres font des listes, moi je fais sécher mon linge, il y a du soleil et cela fait du bien! Mickaël, un des français, habitant à Dinan, travaille dans un abattoir de porc et raconte comment sont récupérées toutes les parties de la bête, même les dents: tout est bon dans le cochon! Lui, avec sa femme Virgine et leur amie Sylvie, il a déjà raté son avion le ramenant en France. Ils n'ont pas de bol, la compagnie Air Comet avec qui ils avaient achété leur billet aller/retour pour le Pérou a fait faillite 15 jours avant leur départ! Après avoir hésiter de tout de même partir en vacances, ils ont acheté de nouveaux billets. Pendant ce temps, la rivière continue de grignoter la ville. Certaines maisons riquent de s'effondrer. A la grille, c'est un homme d'une soixantaine d'année qui s'effondre, il fait un malaise. Il reprend ses esprits. Les mauvaises langues diront qu'il a bluffé pour pouvoir rentrer... dans ce cas, bien joué!

Vers 16 ou 17h, peu de personnes sont parties. La française et sa fille, ainsi que Henry, malade cardiaque, n'ont pas été évacués. La fille de 11 ans est en pleurs, fatiguée, parlant l'espagnol et comprenant tout ce qui se dit dans la file d'attente (elle vit avec ses parents à Buenos Aires, son père Jérôme étant professeur dans un lycée français): il paraît que les gens s'insultent, entre les corrompus et les autres. La priorité, c'est devenu les riches d'abord.

Benjamin, un autre français, passe beaucoup de temps au téléphone avec l'ambassade. Il donne également le nom de nos assurances, mais il ne se passe pas grand chose de plus. A 18h, Antoine aux aguets, réussi à se faufiler lorsque les gardes ouvrent la porte de la grille pour faire entrer un brésilien qui avait eu le droit de sortir... et surtout de re-rentrer. Les autres personnes, surtout les quelques autres français présents (!), rouspètent. En discutant avec le brésilien en question un peu plus tard, j'apprends que les gardes ont commencé à lui mettre les menottes, voyant que quelqu'un était rentré en douce. Heureusement pour lui, l'ambassadeur brésilien l'a appelé juste à ce moment, lui sauvant la mise. Le brésilien est l'équivalent de notre Benjamin, en contact avec l'ambassade, même si Benjamin n'a eu que des secrétaires au bout du fil! Merci la France.

Un peu avant 18h, le consulat nous annonce une bonne nouvelle. Un des dirigeants de Peru-Rail est français, coup de bol, ils l'ont contacté et il a transmis l'ordre au chef de la sécurité de la gare, Senhor Carlos Rodriguez, de laisser entrer au moins les français dans la gare. Ce n'est pas très juste pour les autres nationalités à la grille, mais c'est mieux que rien. Reste à trouver ce Rodriguez.

Nous partons à sa recherche, mais il est en réunion à l'héliport. Nous revenons au wagon. Je vois un groupe de personnes revenant de l'héliport, je les suis, demande si Rodriguez est là. Oui, c'est le gars à la casquette. Il est déjà au courant. Je lui casse les pieds 2 minutes pour qu'il aille demander d'ouvrir les grilles tout de suite... Il va finalement à la grille et laisse rentrer tout le monde, enfin tous ceux qui sont encore là, car seuls une vingtaine de courageux ont résisté, les autres sont repartis en ville. Avec Antoine, nous lui parlons aussi du cas de Henry, le français cardiaque. Il nous répond qu'il est déjà sur une liste prioritaire...

A la grille, il restait 3 français, étudiants au Chili. Ils sont venus jusqu'à Aguas Calientes le dimanche soir à pied, en marchant sur la voie de train. Beaucoup de touristes ne voulant pas payer le train choisissent cette option, mais eux l'ont fait de nuit, avec de l'eau jusqu'au genoux sur certaines portions. Au départ, ils ont croisé des touristes leur conseillant de ne pas y aller, mais des policiers leur ont dit qu'ils pouvaient y aller... ah bin bravo! Ne pouvant pas ne pas voir le Machu Picchu, ils sont partis quand même. Ils ont de la chance d'être bien arrivés, mais ils n'auront pas vu le Machu Picchu pour autant, l'accès au site étant devenu interdit à partir du lundi, raison pour laquelle il n'y avait que peu de touristes sur le site la veille.

Finalement, le soir nous pouvions entrer et sortir de la gare à notre guise, c'était bien la peine de rester à attendre pour rien devant la grille toute la journée. Je me rends dans le centre avec d'autres jeunes de la gare. Des assiettes de pâtes sont distribuées sur la place principale, ouf, un semblant de repas! Là, tout va bien, il y a de la musique, des bières, c'est un (petit) peu l'ambiance Club Med. Il paraît que 2 brancards ont été transportés à travers la place, il paraît que c'étaient 2 cadavres... Je retourne dormir à la gare mais je change de wagon. Je m'improvisant un lit en démontant les sièges. Malgré un support beaucoup plus supportable que la veille, j'ai du mal à m'endormir, une veilleuse de la gare illuminant le wagon et le bruit de la pluie sur le toit ne m'aide pas vraiment non plus.

2 commentaires:

  1. Bon je t'avoue que je ne comprends pas tout entre les aller-retours...mais ca n'avait pas l'air d'être très rigolo....sauf l'ambiance club med!

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  2. j'ai connu des journées plus agréables en effet

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