Congo - "Tous des vedettes, pas de figurants"

Trainer quelques jours à Brazza avec Alex, Benoît, Gauthier et quelques autres expatriés / VIE présents à Brazzaville depuis plusieurs mois (voir quelques années) nous a permis d'avoir un concentré des meilleures anecdotes. Comme le dit le chef français d'Alex : les congolais sont "tous des vedettes, il n'y a pas de figurants". Je vous en liste une partie :

  • Les policiers sont tous corrompus. Ils arrêtent les voitures sans raison et demandent de leur "donner le jus". C'est-à-dire un billet qui pourra leur payer une bière à la cahute d'à côté.
  • Benoît, qui a une voiture, a déjà été arrêté pour "transport de passager en position dangereuse". Sa passagère arrière avait le coude posé sur le rebord de la vitre !
  • Gauthier a quand a lui été arrêté pour "mauvaise présélection des voies".
  • Benoît toujours, a été arrêté parce que sa plaque d'immatriculation n'est pas de Brazzaville, mais de Pointe-Noire : amende de 10 000 CFA. Imaginez que toutes les voitures immatriculées en province prennent une amende de 15€ pour rouler dans Paris...
  • Un vol a eu lieu dans la coloc d'Adrien : les policiers viennent. 
    • Un paquet de cigarette traîne sur la table : "je peux le prendre ?" demande l'un deux.
    • Le chef se présente comme "commissaire spécialisé dans la poursuite des délinquants en fuite".
    • Pour la déposition, le flic passe l'important à la trappe comme savoir ce qui a été volé mais s'attarde sur des détails : "les résidents sont sortis pour voir le match de foot France-Ukraine pour la qualification à la Coupe du Monde..." il a peut-être même inscrit le score...
    • Il veut prendre la déposition du deuxième coloc... puis se ravise, il notera simplement : "idem Edouard".
  • A l'hôpital de Brazza, 5 ascenseurs tous neufs ont été faits par une entreprise chinoise. Le jour de l'inauguration, ils veulent transporter un brancard... mais celui-ci ne passe pas dans les ascenseurs, qui sont trop petits ! Et personne n'avait eu l'idée de vérifier avant.
  • Un forage d'eau potable est inauguré à Pointe-Noire. Toute la presse est conviée. L'élu local ouvre fièrement le robinet... mais l'eau qui sort est terreuse. Au lieu d'attendre, il se force à la boire devant les caméras pour prouver que l'eau est bonne.
  • Sassou, en fin tacticien, a nommé son plus farouche opposant à un poste ministériel. Pour veiller à sa sécurité, celui-ci est venu à Brazza avec 300 de ses gardes armés !
  • Le journal d'opposition appartient... au président !
  • Alex doit gérer une équipe de congolais pour la maintenance à l'aéroport :
    • Un jour avec son chef, ils observent un des employés faire le plein d'un véhicule. Il se gare à 10 mètres de la cuve, va chercher une brouette et deux bidons de 25L qu'il remplit et emmène près du véhicule. Une fois le rire passé, Alex va voir le gars et lui demande pourquoi il ne se gare pas à côté tout simplement... "ah oui, pas bête chef !"
    • S'il leur donne quelque chose à faire et les laisse une heure, quand il revient le boulot n'est jamais fait. "Ah chef, on a eu une situation"...
    • Ses employés font la sieste pendant leurs heures de travail ou vont cueillir des mangues :
      • Hey les gars, faut bosser un peu. 
      • Ah chef, on a cueilli des mangues.
      • Vous n'avez pas à cueillir des mangues pendant le boulot ! 
      • Oui mais elles sont bonnes, vous en voulez une, chef ?!
    • "Si on appliquait le règlement, ils seraient tous virés en 48h..."
  • La sérénité congolaise face à l'activité française : "tu as la montre, moi j'ai le temps".

Congo - Vis ma vie de VIE

Nous retrouvons Alex à l'aéroport. On ne le connait pas mais Adrien nous a laissé son numéro de téléphone. C'est le dernier survivant de leur colocation ! Adrien est en France à cause de son œil et son coloc Édouard est en France à cause de bactéries dans l'estomac ! Alex n'a pas vraiment la forme non plus : il est aux prises avec un ver qui occupe son système digestif. Mais il résiste.

Il nous emmène en voiture à l'appart où nous pouvons nous changer et déposer nos affaires. Puis direction le centre-ville pour manger une glace ! Ce n'est pas la meilleure glace du monde mais cela change de la brousse et du corned beef. Nous rejoignons d'autres jeunes expatriés. Ils travaillent dans le BTP, la logistique ou le pétrole en général.

En repartant, nous croisons Félin ! Nous lui donnons des nouvelles d'Adrien et de notre échec au lac. Ensuite, nous suivons Alex et sa bande au Tennis Club. Une bulle d'expatriés au milieu de Brazzaville, un havre de calme au milieu du vacarme, un coin de verdure au milieu des rues poussiéreuses. L'endroit est fréquenté par les expatriés, notamment les familles avec les enfants qui jouent tranquillement autour de la piscine. L'intégration sociale n'est pas réellement une préoccupation majeure pour les expats.

Le soir nous découvrons la nuit à la capitale. Il y a quelques restaurants pour manger des bons plats et des bars où boire une N'gok. Ce sera l'occasion pour Benoît, un des expats, d'investir dans l'art africain avec cette magnifique statuette présentée sur les deux photos ci-après.

Congo - Retour à la civilisation

Le lendemain de nos tractations ratées, nous prenons déjà la route pour Brazza. Pas grand chose à faire dans le coin du coup. On dit au revoir à Sigfried, Césel, Gérard et les autres. Et oui, c'est dommage. Et oui, beaucoup d'efforts gâchés. Il y a encore du boulot avant d'en faire une vraie attraction touristique de votre lac ! En tout cas, Boha ne devrait pas en profiter. Il est fort probable que la WCS envisagera un autre sentier pour atteindre le lac... plus de problème de droit de passage !

Le taxi collectif nous emmène directement à l'aéroport par la route des brésiliens. Le toit de la fourgonnette est surchargée de sacs de jute. On fait un arrêt à Matoko histoire d'en ajouter un peu. Des poissons chats agonisent dans des paniers en osier au bord de la route, des poulets aux pattes liées se font trimballer hagards. Ça gesticule dans tous les sens.

La route est plutôt correcte pour le pays mais présente évidemment des nids-de-poule. C'est surtout la végétation que je remarque, elle prend possession du bitume à plusieurs endroits. A croire qu'il n'y a pas eu la moindre opération d'entretien depuis 25 ans.

Devant l'aéroport, le chef d'escale nous attend à notre descente de fourgonnette : "c'est vous qui voyagez ?" Oui ! Sigfried ou Césel a dû l'appeler. Sympa. On peut avancer de 4 jours notre vol Air Congo prévu initialement pour mercredi. C'est l'avantage des organisations pas vraiment organisées. Et la sagaie passe dans les bagages.

Nous attendons dans le hall d'embarquement. Une grande salle, quelques sièges en plastique et un écran de télé. Nous apprenons que la France envoie des soldats en Centrafrique (à 300 km au Nord) pour stopper les troubles et que Nelson Mandela est mort. L'Afrique est troublée. Nous sommes au cœur de l'info.

Avec nos crampons de chaussures pleins de terre, on salit la belle salle. Un gars se retourne vers nous : "vous êtes scouts ?" Ah non. On embarque ensuite dans notre coucou. C'est un avion à hélice d'une cinquantaine de place. La bête a l'air plutôt bien entretenue. On décolle plein ouest et survole la forêt. Peut-être que nous verrons le lac Télé depuis les airs ! Aurélie remarque à juste titre que si on s'écrase au lac et que l'on doit repasser par le village, ce serait marrant de voir la tête des notables.

On a le droit à un petit casse-croûte que nous apporte l'apprentie hôtesse de l'air qui n'a pas l'air d'avoir déjà utilisé le système pour bloquer les roues de son chariot. On peut lire la gazette de la compagnie : "la force du direct". Cela vaut son pesant de cacahuète.

D'abord, on y apprend que la compagnie est dirigée par le ministre des transports. Ensuite, elle a arrêté les vols pendant une quinzaine d'années. Motif ? "Nous étions en partenariat avec des sud africains qui, un beau matin, nous surprendront en s'enfuyant avec les avions. Nous nous étions retrouvés dans des difficultés". Je retranscris les écritures exactes de la gazette sans perdre une miette de l'éloquence à la congolaise.

Aurélie se surprend à se voir toute bronzée en allant aux toilettes. 6 jours qu'on a pas vu un miroir. Nous survolons la forêt et le fleuve Congo. Le vol dure 2h. Le trajet ne peut pas se faire par la route puisqu'il n'y en a pas, mais par bateau oui. Par contre, cela dure 3 semaines quand tout va bien. Cela peut monter à 3 mois s'il tombe en panne !

Congo - Boha rebelotte

5h du matin. Nous sommes prêts. Pas Gérard.

5h45, le voilà. Le matériel n'a pas été préparé et le magasinier n'a pas été prévu pour nous offrir le local ou l'on doit laisser des affaires. Bien joué Gégé.

Le temps de récupérer le matos (bâches, casserole, machette, GPS...), le pinassier écope et installe le moteur. Nous partons un peu avant 7h. Le soleil perce timidement les nuages au-dessus de la plaine. Il ferait même un peu frais. On a 1h45 de pirogue devant nous, on devrait pourvoir respecter les conditions horaires des notables.

A Boha, il y a du monde sur la berge pour nous accueillir. On va voir Noël et on l'informe qu'il y aura 3 porteurs. "Pas 5 ?" Bah non, pas 5 ! On passe aux notables. Ils sont sur une petite place. Gérard, Aurélie et moi prenons place sur trois chaises en face. Roméo fait l'intermédiaire dans la discussion.

Les notables commencent. Dans leur dialecte. Noël embraye mais il est énervé et finit par partir ! Les notables continuent à parler un petit moment. Je demande à Gérard ce qui se passe... "ils veulent 100 000". Hum, je lui demande de leur dire que l'on propose 10 000, pas plus, mais qu'il précise que cela va donner du boulot à 3 porteurs pendant quelques jours, donc un petit revenu. Blablabla... "ils maintiennent". Ils sont coriaces les bougres. Je peux prendre la parole en français.

Je commence par dire que nous ne pouvons pas payer une telle somme (150€ je le rappelle !). Nous comprenons bien qu'il peut exister un "droit de passage" mais le montant demandé est excessif. Nous proposons 10 000. On ne PEUT PAS mieux. Par contre, je leur répète que les porteurs seront payés. De plus, suite à notre séjour, nous pourrons en parler à d'autres personnes qui viendraient également visiter le lac et pourraient aider le village...

Le conseil doit délibérer avec la population. Nous nous éloignons pendant une dizaine de minutes. La discussion reprend dans leur dialecte... résultats des courses : ils veulent 100 000. Un homme prend la parole :"Vous venez, vous êtes irrespectueux, qui nous dit que votre venue aide le village. Il y a déjà eu un brésilien qui est venu, et lui il a payé 200 000." Oui effectivement, certains ont déjà payé. D'après nos informations, un groupe de 8 espagnols est venu auparavant et aurait payé 200 ou 300 000 CFA. National Geographic est venu tourner un reportage sur le lac et le mystère du Mokélé Mbembé : ils auraient lâché 500 000 CFA aux villageois ! On ne joue pas sur les mêmes bases.

Je leur réponds en français : "Ok. C'est votre choix. D'abord, précisons que nous sommes tout à fait respectueux du village et de ses habitants, pour preuve, nous sommes venus à une heure adaptée pour réaliser les rites suffisamment tôt dans la journée comme demandé. Bon, on ne peut pas vous forcer à bien vouloir nous laisser passer dans votre village. Si vous ne voulez pas, d'accord, on s'en va. Mais on ne payera pas un "droit de passage" exorbitant et injustifié. Il n'y a aucune structure qui n'a été réalisée par le village pour justifier un tel prix ! Ailleurs dans le monde, c'est plus simple pour les voyageurs... alors ils ne viendront pas ici, vous pouvez en être sûrs. Si c'est cela que vous souhaitez, je comprends, mais si vous souhaitez développer le village comme vous le laissez entendre, ce n'est pas la bonne manière. Presque personne ne viendra, et le village restera isolé." Et on s'en va.

Plusieurs villageois sont déçus. Roméo est dans le lot. Désolé ! On retrouve Noël, il s'est vexé car aucun siège n'avait été prévu pour lui... On lui paye son carton de vin et on lui file aussi celui que l'on avait prévu pour les notables. Il veut que l'on boit un verre avec lui. Le breuvage est dégueulasse ! Roméo revient une sagaie. C'est pour moi ! "Tu le montreras à ton père", me lance Noël.

Retour en pirogue. A Epena, Sigfried et Césel sont surpris de nous revoir. On leur explique ce qu'il s'est passé... ils sont déçus pour nous... presque plus que nous

Il nous faut revendre notre victuaille. Gérard nous trouve un "petit" qui peut nous racheter la plupart de nos produits. On négocie le prix de chaque article, coincés dans une petite cabane humide, à la lampe torche sur un bout de papier, le soleil se couche. Au total, on arrive à 46 000, sauf que le petit commerçant se trompe avec sa calculette et annonce 52 000. Ok, je fais semblant de recompter et de tomber sur 52 000 aussi ! Pas très honnête mais il se fait déjà un bon petit bénéfice sans bouger de chez lui. On aura juste perdu une trentaine d'euros entre deux. Dégâts limités. Par contre, on doit payer la pirogue et l'essence, et là, la note est un peu plus élevée (60€) !

Congo - Les civilités

Je me réveille après 12h d'un sommeil très réparateur. En revanche, Adrien ne va pas mieux. Il appelle le docteur français officiant à Brazza. Une fois la situation décrite, celui-ci lui dit de rentrer au plus vite à la capitale. Branle-bas de combat de nouveau. Cette fois-ci, le 4x4 est dispo... d'ailleurs Félin part pour Brazza le jour-même. Timing parfait, Adrien prend son sac et prend l'avion du jour. A savoir qu'il n'y a que 4 ou 5 vols Impfondo-Brazza par semaine.

Nous restons à Epena avec Aurélie. Nous envisageons toujours de nous rendre au lac. Nous voulons donc commencer les préparatifs mais il faut trouver Gérard. Il faut également aller faire "les civilités". Sigfried du WCS et Césel du ministère nous emmènent à la sous-préfecture : un imposant bâtiment qui se ruine chaque jour qui passe. Les pièces intérieures prennent l'humidité et sont insalubres, la poussière est partout : "l'ingénieur a mal conçu le bâtiment" pour nos compères. Plus facile d'accuser un lointain concepteur que d'entretenir un minimum la bâtisse.

Nous montons à l'étage et patientons dans le bureau de la secrétaire. Elle baille aux corneilles, la tête posée sur son avant-bras. Coincée entre son bureau et une pile de portrait de Sassou, elle ne sert à rien, comme 90% des gens que nous croisons dans les couloirs j'imagine. Le sous-préfet peut nous recevoir : il est amical, son bureau est grand, très grand. Nous prenons place dans un canapé et nous sourions gentiment à son discours : "Soyez chez vous, je suis très content de vous recevoir". On explique que nous allons voir le lac, tout simplement. Ah et que nous sommes en vacances. "Ce ne sont pas des touristes professionnels, ils sont là sur leurs congés" ajoute Sigfried. Le sous-préfet hoche la tête d'un léger étonnement. On progresse.

On enchaîne avec la gendarmerie. Un sous-fifre est chargé de reporter sur une feuille blanche toutes les obscures inscriptions de nos passeports. Il n'a pas l'air de savoir pourquoi, mais il s'applique. Il nous demande quelle est notre mission : euh, on va dire l'ethnologie post-coloniale non ? Leurs âneries nous prennent toute la matinée.

Gérard réapparaît juste après. Nous le suivons pour aller manger, il nous a promis du poulet, nous aurons du crocodile. Mais dans un semblant de cabane servant de restaurant, on ne nous sert que des boyaux. Nous réclamons des vrais morceaux de viande ! Ce qui est le cas de l'assiette de Gérard d'ailleurs, et on se dit que soit il est con, soit il se fiche un peu de nous. Je garde tout de même mon assiette en mode koh-lanta. C'est affreusement mauvais, à part l’œuf, qui est très bon et a un goût... d’œuf.

Pour les préparatifs de la rando, "j'ai le logiciel" pour préparer la logistique dit Gérard. Je suis un peu sceptique de la réalité de la chose et effectivement, il a simplement Excel installé sur un PC. Et il sait à peine s'en servir. Aurélie prend le relais version 100 fois plus rapide pour digitaliser notre liste de courses.  Plus elle s'allonge et plus je me rends compte que cela représente un sacré budget, car non seulement d'être long à la détente, Gérard est particulièrement feignant et pas particulièrement fiable. Il veut nous faire prendre 5 porteurs sur 5 jours. Pour Aurélie et moi, il est évident que nous porterons nous-même notre sac. Idem pour toi Gégé... pas de négociation là-dessus. Pour le Club Med, ce n'est pas la bonne adresse ! Surtout que plus il y a de porteurs, plus il faut de nourriture, donc plus il faut de porteur ! Le cercle vicieux. Et il faut les payer (5000 par tête et par jour), ainsi que le pinassier (10000) et... Gérard. Pour lui 5000 par jour... ah non, 10 000, ah non en fait 15 000 parce qu'il s'il vient avec nous, il ne recevra pas sa paye... je le regarde de travers, je sens qu'il fait n'importe quoi et tente d'en profiter. Cela ne me plaît pas trop, nous demanderons à Félin ou Sigfried pour les salaires. Nous prévoyons finalement une virée de 4 jours en forêt avec moi, Aurélie, notre pseudo "guide" Gérard et 3 porteurs pour le gros de la nourriture et du matériel de cuisine.
  • Eau :       18 bouteilles * 1000 = 18 000
  • Sardines :       16 boîtes * 500 =   8 000
  • Corned beef : 24 boîtes * 900 = 21 600
  • Macaroni :    8 paquets *1000 =  8 000
  • Manioc :     24 portions * 100 =  2 400
  • Riz :                       6 kg * 500 =  3 000
  • Concentré de tomates : 8 boîtes * 200 = 1 600
  • Pâte d'arachide :  1 kg * 1000 =  1 000
  • Huile :                   1 L * 1200 =  1 200
  • PQ :             3 rouleaux * 500 =  1 500
  • Cigarettes      5 paquets * 700 =  3 500
  • Piles :             16 unités * 100 =  1 600
  • Bougies :        10 unités * 150 =  1 500
  • Briquet :           3 unités * 100 =     900
Je suis déjà moyennement chaud pour les cigarettes et les piles... Gérard veut aussi des machettes, de la corde... stop ! C'est non, on n'achètera pas tout ça. On va pas lui acheter de nouvelles chaussures non plus !

Pendant ce temps, la pluie tombe à seau. 10 cm d'eau envahissent la cour. Avec Aurélie, on commence que c'est notre expédition qui prend l'eau. Notre guide est mauvais et il pleut la moitié de la journée... et impossible de savoir combien il y a de kilomètres entre le village de Boha et le lac. Les estimations kilométriques varient entre 30 et 50 et les estimations temporelles entre une bonne journée ou plus de deux journées de marche.

L'orage s'arrête. On était à deux doigts de laisser tomber... mais nous arpentons tout de même les petits commerces d'Epena pour réaliser tous nos achats : 74 800 CFA au total (115 € !). Rendez-vous est pris le lendemain matin à 5h avec Gérard pour arriver à l'heure à Boha pour les rituels avec les notables. 19h45, nous nous apprêtons à aller dormir... je n'ai pas du me coucher aussi tôt depuis le CM1. Nous recevons un texto d'Adrien : il est à Brazza et a vu le médecin. Il est rapatrié sur Paris le lendemain pour greffe de la cornée. Aïe.

Congo - Première visite à Boha

Je me permets une "grasse matinée" jusqu'à 8h du matin. Il paraît qu'Alfred est passé un peu plus tôt pour nous saluer avant de repartir mais je l'ai manqué. Dommage, j'aurais souhaiter le remercier pour l'effort de la veille et aussi pour le rouspéter gentiment : on ne prévoit pas de faire un tel trajet en une seule journée !

Adrien et son oeil ne vont pas mieux. On peut même dire qu'ils vont moins bien, il a du pus sous la paupière. Le premier hôpital est à Impfondo... à 80 km. Nous passons d'abord voir les bonnes sœurs au dispensaire d'Epena. "Il y a une tâche sur l’œil, il faut voir un médecin". Effectivement, une petite tâche blanche s'est formé sur l'iris... pas bon signe. Son oeil lui fait mal et il n'y voit plus trop. Pas bon signe du tout. Branle-bas de combat, il faut trouver une voiture au plus vite. Dommage, la voiture du WCS est partie pour Impfondo un peu plus tôt. Et les trois autres 4x4 ne peuvent être utilisés ? Non, il n'y a qu'un seul chauffeur !

Nous rencontrons Félin du WCS, le directeur technique, avec qui Adrien était entré en contact pour la visite de la réserve et l'accès au lac Télé. C'est avec lui que nous avons eu notre première discussion par mail pour déterminer le "droit de passage" qu'imposent les habitants du village de Boha. Nous lui expliquons la situation. Il fait venir Franck, le seul taxi du bled : celui-ci demande 50 000 CFA (75€) pour le trajet A/R : "comment est le budget ?" me demande Félin. Le prix est abusif... je lui dis, et propose 30 000. Ce sera finalement 40 000 après une brève négociation. Nous n'avons pas le choix.

J'accompagne Franck pour qu'il fasse le plein puis Adrien embarque avec son sac. Aurélie l'accompagne. Je préfère rester à Epena et accompagner Félin au village de Boha... je veux au moins voir ce village qui devait être le point de départ de notre randonnée. Je sens que celle-ci va tomber à l'eau, quasi persuadé de ne pas revoir Adrien avant de revenir à Brazzaville (dans le meilleur des cas).

Je demande donc à Félin si je peux l'accompagner : ok pour lui, départ dans 20 minutes. Je n'ai quasi rien avalé depuis 24h, je passe donc rapidement par le marché m'acheter du manioc et quelques bananes pour 450 CFA. En attendant Félin, Sylvestre qui m'a accompagné au marché me raconte quelques faits d'armes pendant ces missions du ministère des Eaux et Forêts. Ils sont une trentaine, épaulés par 8 employé de la WCS. Les employés du ministère traquent les braconniers qui chassent les singes et les antilopes pour revendre de la viande de brousse, totalement interdite. Quand ils les arrêtent, la viande est confisquée puis brûlée, ou vendue à nul prix au marché. Une semaine plus tôt, ils ont suivi une camionnette qui se rendait à l'aéroport. En fait, elle était chargée de viande mais aucun passager ne s'est dénoncé... ils arrêtent normalement le chauffeur qui est de mèche, mais ont été cléments pour cette fois.
Je rejoins Félin et Gérard (originaire de Boha) dans "la coque" équipée d'un moteur. Nous filons sur les eaux. Le paysage est superbe. L'eau est d'une platitude quasi parfaite. Les nuages et l'horizon se reflètent entre les herbes. De nombreux oiseaux nous accompagnent pendant 1h30. Nous saluons les gens croisés sur leur pirogue en tachant de ne pas les renverser avec la vague formée par notre bolide. Hop, un héron s'envole

Voilà Boha, le villages d'irréductibles. Une nouvelle fois : incontournables poignées de main et sourires d'enfants timides mais pas tant que ça. Ce n'est pas tous les jours qu'un mundelé vient jusqu'ici. Nous nous présentons au chef de village, Noël, "homme de fêtes". Grand et maigre, il m'a plutôt l'air coopératif. Nous nous asseyons avec quelques curieux autour. La situation s'éclaircit dans mon esprit : le chef de village, représentant l'administration congolaise, soutient la venue de visiteurs au village, tant qu'il a sa "petite bière". En revanche, les notables du village, une sorte de conseil des anciens (sans valeur juridique mais avec une valeur culturelle) souhaite imposer un droit de passage pour l'accès au lac. Ce droit est arbitrairement fixé à 100 000 CFA (150 €) et rien n'est clair quant à l'utilisation de celui-ci. A priori, il disparaît dans des futilités au profit de quelques uns... et non au village dans son ensemble.

Voyant mes lunettes, avant de nous faire faire un tour du village, Noël part chercher ses lunettes de soleil pour faire le beau, ce qui lui vaut une petite moquerie de la part de Félin. Les villageois sont sympathiques. L'un d'entre eux me dit : "on sait que ici c'est chez vous, chez les français, soyez le bienvenu". Hopopop ! Il ne m'en faut pas tant, c'est fini la colonisation !! Mais par contre, la partie du bienvenu je veux bien !

Roméo, un jeune homme d'une trentaine d'années m'accoste. Il m'apprend le bonjour en dialecte local : ouakoa (répondre : ouakoa nahe, puis igo en retour = bonjour / bonjour à toi / ok). Lui et un de ses amis veulent mon numéro de téléphone... ok... Roméo m'explique qu'il fait l'intermédiaire entre les notables et le reste de la population pendant les réunions, puisque ce n'est pas autorisé de leur parler directement.

Nous passons par l'école. Puis devant un terrain vide, on nous explique qu'un autre bâtiment aurait dû être construit. Le village a reçu des fonds mais rien n'a été fait... l'argent a disparu à travers les mains de la notabilité. Raison de plus pour ne pas leur donner de droit de passage !



Puis la réunion va commencer. Les notables, 4 vieux en haillons sont assis en arc de cercle. Noël a la sagaie : c'est lui qui a la parole en premier. Tout se passe dans le dialecte local, donc je ne pige pas une bribe. Par contre, je sens que cela part en vrille. Noël s'énerve puis fini
par s'en aller. Gérard m'explique ce qui se passe : les notables ne veulent pas traiter l'affaire aujourd'hui parce que la réunion doit avoir lieu le matin avant 9 ou 10h. Tout le monde hausse le ton et la réunion tourne court. "Il faut d'abord régler les problèmes internes au village avant de pouvoir développer un projet" dit un villageois...

Félin part voir les notables en privé. J'apprendrais plus tard qu'il leur a déjà donnée une petite enveloppe de 10 000 CFA afin que nous puissions passer pour le lac. Il leur a dit que les touristes ne paieront pas 100 000 CFA juste pour passer. Il faut construire un minimum de structure comme une auberge et un restaurant, et entretenir un sentier. En attendant, Roméo me dit "il faut venir, on a besoin de vous, il nous faut le développement". J'explique que je ne partirais pas au lac le jour même et que je dois attendre de connaître l'état de santé d'Adrien avant de revenir avec lui et Aurélie. Ils me demandent pourquoi je suis là, quelles études je fais, des études de tourisme ? J'explique que je voyage pendant mes vacances, du tourisme tout simplement. Le concept n'a pas l'air clair... "tu es là pour des études"... euh non. Incompréhension. Des mundelés sont venus pour étudier des bestioles ou des plantes dans le coin, du coup ils généralisent, et au final, il y a une grosse confusion entre les activités de tourisme et de recherche.

Ce quiproquo général amène quelques situations cocasses : un employé du ministère a tout de même demandé à Aurélie si elle pourrait l'aider... il a acheté une "carte internationale touristique" qui lui permettrait de voyager en France. Sa profession de "touriste chercheur" est bien écrite sur la carte... enfin sur la photocopie. Le sud-africain qui lui a vendu la carte a dû retourner dans son pays avant de pouvoir lui donner l'original (pas de bol) et il aurait eu un accident là-bas (re pas de bol) et n'a pas pu lui envoyer la "vraie" carte (re, re pas de bol). 

Je réexplique tout de même que nous voulons seulement aller voir le lac, prendre des photos et voir les paysages et peut-être des animaux, puis que nous pourrons en parler à d'autres gens qui, eux aussi, viendraient visiter le lac. Mais ce n'est pas ma profession. "Mais tu as un examen après ?"... pfffff... allez, on va dire que oui. Satisfaction et éclats de rire : "ah, il y a toujours un examen !".

Il me raconte que la vie au village est difficile, qu'il n'y a rien. "Chez vous, tout est facile, pour couper l'arbre, vous prenez une tronçonneuse. Nous on doit prendre des haches, c'est fatiguant, on a même plus la force de faire l'amour à une femme". Je tente en vain de lui expliquer que les gens travaillent aussi en Europe, que tout n'est pas toujours facile et qu'il peut être aussi heureux à Boha. Bien sûr, nous avons des tronçonneuses entre autres, mais tout cela n'est pas tombé du ciel (NB : le Congo n'exploite que 2% de ses terres arables...). Peine perdue.

Nous nous retrouvons avec Félin, Gérard et Noël. "Moi aussi je veux parler avec le blanc lance Noël". On nous sert du vin de palme. Il est chaud, le soleil m'a tapé dessus toute la journée et je n'ai digéré que deux bananes... alors je me sens déshydraté et le vin me dessèche encore plus la boîte crânienne ! Nous repartons ensuite vers la pirogue. "Quand tu reviendras, nous te donnerons un couteau" me lance Roméo. Ok !

Sur le retour, des enfants se baignent dans la rivière. Moi je cogite à la suite de l'aventure : je pense que par précaution, Adrien ne va pas revenir à Epena, est-ce que je fais la rando avec Aurélie ? Ou peut-être va t-elle rester à Impfondo alors je fais la rando seul ? Est-ce que de toute façon la rando est possible sans payer ce droit de passage absurde ?

Nous accostons à Epena. On m'annonce : "vos amis sont revenus". "Oh", fait Félin de sa grosse voix. Je suis le premier surpris, mais c'est bon signe, le cas est moins mauvais que prévu. Le médecin a diagnostiquer une conjonctivite : un antibiotique et un anti douleur. L’œil d'Adrien fait quand même grise mine. Il n'y voit pas grand chose avec, la lumière lui fait mal et il y a toujours autant de pus. J'avale une conserve de corned beef puis nous passons tout de même voir Félin. Il est dans son canapé à regarder une série chinoise à laquelle il ne comprend rien.

Nous allons attendre une journée avant de partir afin de voir comment évolue l'état de santé d'Adrien. Gérard nous accompagnera pour l'expédition et doit nous aider à organiser la logistique le lendemain. Nous devrions donc partir tôt le matin en pirogue afin de voir les notables et de respecter leurs rites. Félin nous dit que nous n'avons pas a donnée plus que 10 000 CFA pour le droit de passage. S'ils n'acceptent pas... il abandonne l'affaire ! Il y aura d'autres chemins pour rejoindre le lac !

Congo - En pirogue

On se réveille tôt pour partir en pirogue à 6h. Évidemment, rien n'est prêt comme prévu. Nous allons voir Clément... le toit de la future auberge s'est envolé dans la nuit. La tuile.

Nous mettons ensuite la pirogue à l'eau vers 7h. Alfred et Farrel seront nos deux rameurs du jour. Nous filons sur la Likouala. Peu d'animaux nous font l'honneur d'une visite : à peine une chauve-souris, quelques paires d'oiseaux et un écureuil. Nous slalomons entre les branches, de temps en temps, il faut passer la barque au-dessus d'un tronc pas assez immergé, ce qui vaut un bon exercice d'équilibriste à Adrien : il n'a pas l'agilité de nos compagnons congolais, sautillant à leur aise sur le bord de la pirogue et sur les troncs.

Une pause pour le petit déjeuner nous fait nous arrêter à un campement de pêcheurs momitamba : une cabane sur pilotis. Celui-ci est désert, nous y restons le temps d'avaler nos chocolat en poudre. A la mi-journée, nous arrivons sur la Likouala-aux-Herbes. Nous sommes à la fin de la période humide, le niveau de l'eau est donc près de son maximum : la plaine est inondée à perte de vue, sur des kilomètres. Je demande si c'est profond, Alfred me répond en plongeant la rame sous l'eau... elle ne touche pas encore le fond qui est donc à au moins 3 mètres. La profondeur maximale est de 12 mètres selon lui, à l'aplomb du lit principale de la rivière.

Adrien est gêné avec son œil, et cela dure depuis le matin sans amélioration. Le soleil le fatigue et il tente de "l'aérer"... on ne s'inquiète pas plus que ça mais la visite à un médecin sera la priorité quand on aura atteint notre destination.

Nous nous arrêtons dans un village pour déguster notre repas préparé par la femme de Clément. Des enfants, des t-shirts sales, des cabanes et des pirogues. Les villageois nous propose des chaises. Sympa... mais je n'aime pas trop l'atmosphère. Ils nous regardent du coin de l’œil. Ils attendent qu'on leur donne quelque chose... l'un d'eux nous demande à boire. Désolé mon pote, on a rien. Cela n'empêche pas Adrien de faire une petite lessive en brossant ses chaussettes sur le bord de la pirogue !


Alfred se guide en regardant les arbres... qui paraissent tous semblables. Nombre d'entre eux sont d'ailleurs calcinés, frappés par la foudre durant un des fréquents orages. On coupe certains bras de rivières, ce qui serait impossible en période sèche. La navigation est d'ailleurs impossible tout court lorsque le niveau de l'eau est au plus bas. Une pirogue à moteur nous dépasse, elle va bien plus vite ! On se dit que cela n'aurait peut-être pas été une mauvaise idée de l'emprunter finalement. En tout cas, on aurait pas vu moins d'animaux.

Les heures passent au fil de l'eau. Après nous avoir bien caressé toute la journée, le soleil s'enfonce de plus en plus dans l'horizon. Nous étions censé arriver à la tombée de la nuit mais lorsque je demande si c'est encore loin... nos compères restent muets. J'insiste un peu, Farrel me répond "2 heures". Ok.

La température baisse dès que le soleil se cache. La nuit est noire. Farrel est passé devant et trouve la route entre les arbres. Enfin, on espère... on ne voit rien devant et on se demande bien comment il fait pour ne pas se perdre avec seulement une petite lampe de poche. J'allume ma frontale et essaie de lui donner un peu plus de clarté dans cette nuit bien noire.

L'horizon s'agite. Un orage s'annonce au loin. Les éclairs apportent un éclairage d'appoint, bien qu'intermittent. Les nuages sont bien épais. On avance doucement, très doucement, trop doucement ? On commence à vraiment regretter le moteur ! Ou si au moins nous avions pris une troisième rame, on serait sûrement aller plus vite.

Le temps passe et l'orage se rapproche... ou plutôt nous nous rapprochons de lui. Le ciel est magnifique, mais il devient menaçant. Nos congolais ont l'air d'y aller à tâtons. Je leur demande si c'est encore loin, cela fait pas loin de 2h que la nuit est tombée. Ni Farrel, ni Alfred ne répondent. Super ambiance ! Il ne reste qu'à leur faire confiance. Je pratique le vieux réflexe développé dans les bus sur les routes boliviennes : alors qu'il conduit comme un malade au bord d'un ravin, je pars du principe que le chauffeur a l'habitude et que de toute façon, il ne veut pas mourir, donc même si cela paraît dangereux, il n'y a pas (trop) de réel danger. Farrel et Alfred pourraient quand même être un peu plus prolixes, mais la fatigue doit commencer à se faire sentir. Je vérifie la direction avec ma petite boussole... on garde un cap sud-est. Cela me paraît être une bonne chose, c'est déjà ça.

Je sens que l'inquiétude gagne toujours un peu plus Aurélie. Nous faisons une pause rapide sur un îlot, rare au milieu de ces kilomètres carrés liquides. Elle veut y passer la nuit, et ne pas risquer de tomber au milieu de l'orage: "on ne navigue pas au milieu d'une tempête". Il est vrai que si la pluie fait rage, nous allons être bien ballotés dans notre pirogue. On se souvient de l'averse qui a inondé le village en moins de 10 minutes. Je ne vois toutefois pas trop l'intérêt de passer la nuit sur un bout de terre de 10 m² à attendre de se prendre un éclair sur la tête. Au pire, j'écoperais avec mes chaussures de marche : elles sont bien étanches !

Adrien demande à Alfred s'il veut passer la nuit ici. Son attitude n'est pas très claire, il met pied à terre, puis 2 minutes plus tard, il semble que l'idée de passer la nuit là lui paraît complètement loufoque. Nous repartons, à quatre contre une, à l'affront de l'orage.

Celui-ci se rapproche encore. Adrien change d'avis... "on est vraiment proche là, on devrait peut-être faire demi-tour non ?". Non ! On garde le cap et la pluie commence à tomber...

On se croirait sur les marches du festival de Cannes tellement les flashs crépitent. C'est beau. Farrel hésite de temps à autres. Je tourne après le grand arbre avec les feuilles vertes, ou après le grand arbre avec les feuilles vertes ? Au bout d'un moment, j'entends Alfred dire tout bas comme pour lui-même : "je connais cet arbre là". Voilà, c'est ça qu'on veut entendre. Puis quelques minutes plus tard, il ajoute que d'où nous sommes, nous pouvons entendre les tambours du village de Makoko si le vent porte dans le bon sens. L'arrivée est donc proche.

J'entends un petit son d'accusé de réception de sms. Aurélie a envoyé un message de secours en France "au cas où on ne serait pas arrivés", signe de son état de stress avancé qu'elle n'avouera jamais. Un quart d'heure de plus et nous avons le pont de Makoko dans le viseur.

Le pont et une route de 80 km ont été construits par des brésiliens en 1985. Bonne initiative... c'est une des rares routes du pays. Nous accostons et déchargeons la pirogue. Il reste encore 5 km à pied pour rejoindre Epena. Farrel a l'air exténué. Partis à 7h, arrivés à 21h. J'ai l'impression qu'il n'avait pas prévu de ramer 14 heures durant.

Nous toquons à la porte de Ruffin, petit frère d'Alfred et employé de la WCS, qui gère la réserve du lac Télé. Il était endormi et ne nous attendait plus. Il nous emmène à nos chambres dans l'enceinte de la WCS et nous voilà enfin dans nos lits.

Congo - Mangangi

Le lendemain, après avoir assisté à la fin de la messe en lingala (!), nous nous rendons à un autre village à moto. Aurélie a lancé quelques prières pour que la nuit prochaine, aucun rat ne revienne lui mordiller les pieds pendant la nuit et que les lucioles arrêtent de l'embêter quand elle va au fond de la cour...

Au village, nous sommes accueillis en grande pompe par les enfants et les professeurs. Nous serrons des poignées de main à tour de bras. Tellement contents, certains enfants repassent 5 fois, un grand sourire aux lèvres. On nous offre ensuite une bouteille de vin de palme. Verdict : c'est un peu fort mais pas mauvais si servi frais.

Nous passons dans la salle de classe et avons le droit à une démonstration. Le cours d'aujourd'hui : la lettre "i" ! Les voyelles sont le programme du 1er trimestre... une bonne cinquantaine d'enfants s'entasse sur une petite dizaine de bancs de l'Unicef. Ils apprennent à écrire la lettre 'i' en "4 étapes". Qui veut aller au tableau ? Tous les doigts se lèvent, frénétiques. Quand un élève est désigné, il redevient timide, s'avance penaud vers la surface noire et tente de reformer l'obscur pictogramme selon les ordres du professeur : " 'i', lisez ! iiiii ! 'i', c'est bien ? c'est bien !!!" et les autres enfants accompagnent leurs encouragements en battant la mesure sur les bancs.  Les meilleurs élèves seront envoyés à l'internat, et les meilleurs d'entre eux seront préparés pour passer des concours d'Etat ou devenir professeur.

Nous visitons ensuite le village. Nous saluons tout le monde et serrons tellement de mains que je me sens comme un homme politique en pleine période électorale : "c'est loin mais c'est beau !". Là aussi, nous rencontrons le chef du patelin, papa Barthélémy. Plus jeune que son homologue de la veille, il revient du travail des champs et semble bien fatigué. Nous voyons aussi la maisonnée du professeur Michel (à ma droite sur la photo) : 12 petits-enfants !

Sur le chemin retour, Clément tente de négocier de la viande de brousse. Un singe et quelques antilope gisent au sol... le braconnage est pourtant illégal. Le gars veut lui faire payer un peu plus... "ils ont peuvent payer eux" ajoute t-il en nous montrant du doigt...

Au village, nous passons devant le commissaire qui nous interpelle, cannette à la main, on ne change pas une équipe qui gagne :
- Je cherche les bandits !!
- Oui d'accord.
- C'est moi qui assure la sécurité. J'ai mes munitions !
- Oui d'accord (il a effectivement une kalachnikov à ses pieds et une arme de poing à la ceinture).
- Vous restez assis. Vous restez dans vos chambres !
- On va aller voir la rivière là. Mais vous inquiétez pas pour nous, tout se passe bien !
Et nous le laissons s'énerver tout seul...

Un peu plus tard dans l'après-midi, nous l'entendons pestiférer de plus belle. Pendant une demi-heure, il s'agite et braille dans la rue principale du village. Puis, "tac tac tac", une petite rafale de kalach est partie ! On ne se montre pas trop et on reste dans nos cabanes pour le coup. Mais il ne faudrait pas qu'il se décide à tirer ailleurs qu'en l'air, parce que je ne pense pas que les petites planchettes de bois composant les murs stopperont les balles.

Une heure plus tard, il est toujours en transe. On entend un nouveau coup de feu. Il balance un banc où étaient tranquillement assis des villageois. Il a été assigné ici par l'Etat... mais s'il continue comme ça, il va se faire tailler à la machette pour les habitants..

Le soir, le calme est revenu. Nous préparons notre départ avec Clément : sur ses conseils, nous prendrons une pirogue avec deux pinassiers pour nous rallier Epena. Il nous assure qu'une jouréne sera suffisant, à condition de partir tôt le matin pour ne pas prendre de risque. Cela reviendra moins cher qu'un moteur, et nous espérons ainsi voir plus d'animaux.

En soirée, nous assistons à une fête organisée par le village de Moubangui. Une fouée est allumée, les enfants chantent. Quelques uns s'équipent d'un costume de plantes et mènent une "danse des diables que l'on ne peut pas voir". Clément distribue du vin de palme et des cigarettes pour remercier les villageois. Puisque tout le monde n'a pas le droit aux cigarettes, un petit bordel s'installe. Nous revenons à Mboua et dînons avec Clément, et pour une fois, sa femme. Mais elle n'énoncera pas une parole, même si elle parle pourtant français. Une tempête commence alors que nous nous apprêtons à rentrer dans nos cases. La pluie martèle la tôle. En 10 minutes, c'est le déluge !

Congo - Moubangui

Nous déjeunons chez Clément après notre installation dans "l'auberge" du village. Quand je dis auberge, je veux dire des cabanes en bois, avec le sol en terre battue, la lumière avec la lampe à pétrole, un trou pour les toilettes au fond d'une cour et la douche au seau d'eau tirée au puits : l'équivalent d'un deux étoiles dans le système hôtelier congolais. En prime, la case du commissaire est toute proche, cela permet de l'entendre brailler après les hypothétiques "bandits". Ou leurs fantômes, j'avoue que l'on a du mal à saisir contre qui il s'énerve vraiment.

Le fils de Clément pleure dès qu'il aperçoit nos peaux de balancs becs. Le manioc trempe dans une bassine à côté, pour en retirer le mercure. Puis avec Clément, Gui (alias Guilite) et Alfred, tous trois travaillant dans le cadre de la mission avec le Père Lucien et financée par l'Union Européenne, nous allons à Moubangui. Pendant les 3,5 kilomètres de marche jusqu'au village, ils m'apprennent quelques mots de lingala et de benzélé, le dialecte pygmée. Une fois au village, son chef "papa René" nous accueille. Nous discutons un peu, Clément jouant le rôle de traducteur français-benzélé. Nous apprenons que le village s'appelle Moubangui du nom d'un grand arbre situé tout près (un iroko), qu'ils chassent à l'arbalète, ou encore qu'ils assèchent une portion de rivière pour pêcher ! Vêtu d'une veste d'un autre âge, le vieil homme René nous raconte aussi que c'est lui qui a souhaité implanté une école dans son village, et qu'il aimerait bien avoir un dispensaire aussi. Avant, c'était plus facile, il y avait tout dans la forêt, mais celle-ci est trop exploitée aujourd'hui...

Nous arpentons le village. Avec Adrien, nous tentons de dire bonjour aux autochtones : opangoaco (= bonjour) ! S'il répondent "hiiiii" avec un mouvement de tête, c'est gagné ! Mais certains ne répondent pas, tellement surpris que des blancs leur parlent dans leur langue. Un vieil homme nous salue. Ah non, Guilite m'indique qu'il nous demande des médicaments... il a la lèpre. Cruelle réalité.

Le soir, nous mangeons de nouveau chez Clément. La télé est branché sur TV5 Monde. Nous assistons à une série intitulée "les immigrés" avec un jingle mémorable : "je suis un immigré / je viens d'une lointaine contrée / mes racines sont ancrées en moi et j'en suis fieeeeeer". On suit les pérégrinations de plusieurs personnes originaires d'Afrique de l'Ouest vivant à Paris. Vient ensuite l'actualité mondiale : révolte en Thaïlande et en Ukraine, train qui déraille à New York. Puis France 2, avec Marie Drucker qui parle de chômage. Les congolais sont très au courant de ce qu'il se passe en France... mais peut-être devrait-il s'occuper d'abord de ce qu'il se passe chez eux !

Congo - Mboua

Je me réveille un peu avance. L'occasion de regarder les annonces mortuaires à la TV en attendant dans le hall de l'auberge ! Nous prenons ensuite le bac pour traverser la rivière Sangha. Nous allons au "port secondaire". Terme un peu pompeux pour qualifier une berge naturelle où il n'y a qu'une pirogue. Les militaires sont un peu casse-pieds. Ils veulent absolument relever nos passeports. Ils peinent un peu à écrire nos noms sur leur feuille blanche. 15 minutes plus tard, nous traversons. Notre pinassier fait le fier pour la photo. Par contre, il refuse notre billet :"hey patron ! il est pas bon le billet". Il est un peu déchiré... ce n'est pas notre faute si tous vos billets sont dégueulasses !

Nous enchaînons à l'arrière d'un pickup sur 80 kilomètres et voilà Pokola. Ville récente, tournée vers l'industrie forestière. Les camions grumiers défilent à toute berzingue sur les pistes latéritiques. Mathieu, notre prochain chauffeur, nous attend déjà avec sa Toyota Corolla.

Il faut expliquer qu'Adrien a réussi à obtenir le contact du Père Lucien. Un missionnaire suisse qui met en place des écoles dans les villages pygmées sédentarisés du Nord Congo. Il nous a indiqué le Père Clément chez qui nous nous rendons dans le village de Mboua au milieu de... au milieu de rien !

La route est une piste forestière. Tout autour, la végétation est dense. La population de papillons aussi. Mathieu carbure, même à travers une portion inondée : rien n'arrête les Corolla dans ce pays ! Emar, son jeune voisin d'une quinzaine d'années nous accompagne car il aime bien les "aventures". Lui aussi plus tard, il voudrait être un "touriste"...

Nous marquons une pause en chemin afin d'échanger quelques mots avec les habitants d'un campement baka. Ils sont petits... et timides. Adrien, avec ses quelques leçons de lingala, arrive à dialoguer succinctement avec eux. Les enfants sont "maladifs" comme le fait remarquer Emar. Nous faisons un autre détour dans un village : les enfants s'écrient au mundelé et courent derrière la voiture !

Nous arrivons à Mboua. Clément nous accueille mais nous emmène tout de suite voir le commissaire pour les "formalités". Nous trouvons celui-ci assis sous un auvent, une canette de bière à la main. "Prenez place, bonjour, je suis le responsable de la sécurité dans le village". Bon ça va, il a l'air aimable...

"Je dois savoir qui passe dans le village (il hausse le ton). Pourquoi venez-vous ? Quelle est votre mission ? Il fallait venir à mon bureau tout de suite !" Là, il est déjà bien énervé. Cela fait à peine 5 minutes que nous sommes dans le village, dont la dernière à discuter avec lui... et il nous reproche de ne pas être venus ! Le soleil ou la bière (ou les deux) doivent lui taper sur le système.

Nous devons le suivre dans son bureau avec nos passeports. Il s'est calmé et s'excuse à moitié. Il veut nos documents parce que "vous comprenez, c'est ma mission, c'est moi qui assure la sécurité"... oui, t'inquiète pas bonhomme, on a compris. Il prend sa mission à cœur, il veut nous montrer la circulaire du général Dengué qui l'énonce. Adrien nous apprendra plus tard que Dengué est un des plus grands criminels de guerre du pays. La scène qui suit est des plus loufoques. Notre cher commissaire remue ciel et terre, soulève et resoulève une à une chaque feuille sur son bureau mais il ne retrouve pas sa fameuse circulaire. Les gouttes de sueur coulent à flots depuis son crâne rasé. Je ne sais pas s'il me fait rire ou pitié. Il nous faut quand même se pincer les lèvres pour ne pas éclater de rire devant un tel spectacle.

Il abandonne la circulaire et recopie un à un nos passeports sur une feuille qui sera sûrement perdue aussi. Oui, je né à Ploërmel. Oui 1987. "Oh vous êtes jeunes !" s'étonne un badaud à la fenêtre. Clément explique ensuite au commissaire que nous venons ici en voyages, en "éco-tourisme" et lui parle que le guide du Petit Futé donne des conseils aux voyageurs, mais qu'il n'y a que quelques lignes sur la région de la Likouala, et qu'il faut développer la région pour améliorée cela. Le commissaire est surpris : "il me faut ce livre, moi aussi j'ai le droit de l'avoir". Bien sûr bonhomme, mais on te laissera pas notre exemplaire. Tu le trouveras dans toutes les bonnes librairies !