Congo - Première visite à Boha

Je me permets une "grasse matinée" jusqu'à 8h du matin. Il paraît qu'Alfred est passé un peu plus tôt pour nous saluer avant de repartir mais je l'ai manqué. Dommage, j'aurais souhaiter le remercier pour l'effort de la veille et aussi pour le rouspéter gentiment : on ne prévoit pas de faire un tel trajet en une seule journée !

Adrien et son oeil ne vont pas mieux. On peut même dire qu'ils vont moins bien, il a du pus sous la paupière. Le premier hôpital est à Impfondo... à 80 km. Nous passons d'abord voir les bonnes sœurs au dispensaire d'Epena. "Il y a une tâche sur l’œil, il faut voir un médecin". Effectivement, une petite tâche blanche s'est formé sur l'iris... pas bon signe. Son oeil lui fait mal et il n'y voit plus trop. Pas bon signe du tout. Branle-bas de combat, il faut trouver une voiture au plus vite. Dommage, la voiture du WCS est partie pour Impfondo un peu plus tôt. Et les trois autres 4x4 ne peuvent être utilisés ? Non, il n'y a qu'un seul chauffeur !

Nous rencontrons Félin du WCS, le directeur technique, avec qui Adrien était entré en contact pour la visite de la réserve et l'accès au lac Télé. C'est avec lui que nous avons eu notre première discussion par mail pour déterminer le "droit de passage" qu'imposent les habitants du village de Boha. Nous lui expliquons la situation. Il fait venir Franck, le seul taxi du bled : celui-ci demande 50 000 CFA (75€) pour le trajet A/R : "comment est le budget ?" me demande Félin. Le prix est abusif... je lui dis, et propose 30 000. Ce sera finalement 40 000 après une brève négociation. Nous n'avons pas le choix.

J'accompagne Franck pour qu'il fasse le plein puis Adrien embarque avec son sac. Aurélie l'accompagne. Je préfère rester à Epena et accompagner Félin au village de Boha... je veux au moins voir ce village qui devait être le point de départ de notre randonnée. Je sens que celle-ci va tomber à l'eau, quasi persuadé de ne pas revoir Adrien avant de revenir à Brazzaville (dans le meilleur des cas).

Je demande donc à Félin si je peux l'accompagner : ok pour lui, départ dans 20 minutes. Je n'ai quasi rien avalé depuis 24h, je passe donc rapidement par le marché m'acheter du manioc et quelques bananes pour 450 CFA. En attendant Félin, Sylvestre qui m'a accompagné au marché me raconte quelques faits d'armes pendant ces missions du ministère des Eaux et Forêts. Ils sont une trentaine, épaulés par 8 employé de la WCS. Les employés du ministère traquent les braconniers qui chassent les singes et les antilopes pour revendre de la viande de brousse, totalement interdite. Quand ils les arrêtent, la viande est confisquée puis brûlée, ou vendue à nul prix au marché. Une semaine plus tôt, ils ont suivi une camionnette qui se rendait à l'aéroport. En fait, elle était chargée de viande mais aucun passager ne s'est dénoncé... ils arrêtent normalement le chauffeur qui est de mèche, mais ont été cléments pour cette fois.
Je rejoins Félin et Gérard (originaire de Boha) dans "la coque" équipée d'un moteur. Nous filons sur les eaux. Le paysage est superbe. L'eau est d'une platitude quasi parfaite. Les nuages et l'horizon se reflètent entre les herbes. De nombreux oiseaux nous accompagnent pendant 1h30. Nous saluons les gens croisés sur leur pirogue en tachant de ne pas les renverser avec la vague formée par notre bolide. Hop, un héron s'envole

Voilà Boha, le villages d'irréductibles. Une nouvelle fois : incontournables poignées de main et sourires d'enfants timides mais pas tant que ça. Ce n'est pas tous les jours qu'un mundelé vient jusqu'ici. Nous nous présentons au chef de village, Noël, "homme de fêtes". Grand et maigre, il m'a plutôt l'air coopératif. Nous nous asseyons avec quelques curieux autour. La situation s'éclaircit dans mon esprit : le chef de village, représentant l'administration congolaise, soutient la venue de visiteurs au village, tant qu'il a sa "petite bière". En revanche, les notables du village, une sorte de conseil des anciens (sans valeur juridique mais avec une valeur culturelle) souhaite imposer un droit de passage pour l'accès au lac. Ce droit est arbitrairement fixé à 100 000 CFA (150 €) et rien n'est clair quant à l'utilisation de celui-ci. A priori, il disparaît dans des futilités au profit de quelques uns... et non au village dans son ensemble.

Voyant mes lunettes, avant de nous faire faire un tour du village, Noël part chercher ses lunettes de soleil pour faire le beau, ce qui lui vaut une petite moquerie de la part de Félin. Les villageois sont sympathiques. L'un d'entre eux me dit : "on sait que ici c'est chez vous, chez les français, soyez le bienvenu". Hopopop ! Il ne m'en faut pas tant, c'est fini la colonisation !! Mais par contre, la partie du bienvenu je veux bien !

Roméo, un jeune homme d'une trentaine d'années m'accoste. Il m'apprend le bonjour en dialecte local : ouakoa (répondre : ouakoa nahe, puis igo en retour = bonjour / bonjour à toi / ok). Lui et un de ses amis veulent mon numéro de téléphone... ok... Roméo m'explique qu'il fait l'intermédiaire entre les notables et le reste de la population pendant les réunions, puisque ce n'est pas autorisé de leur parler directement.

Nous passons par l'école. Puis devant un terrain vide, on nous explique qu'un autre bâtiment aurait dû être construit. Le village a reçu des fonds mais rien n'a été fait... l'argent a disparu à travers les mains de la notabilité. Raison de plus pour ne pas leur donner de droit de passage !



Puis la réunion va commencer. Les notables, 4 vieux en haillons sont assis en arc de cercle. Noël a la sagaie : c'est lui qui a la parole en premier. Tout se passe dans le dialecte local, donc je ne pige pas une bribe. Par contre, je sens que cela part en vrille. Noël s'énerve puis fini
par s'en aller. Gérard m'explique ce qui se passe : les notables ne veulent pas traiter l'affaire aujourd'hui parce que la réunion doit avoir lieu le matin avant 9 ou 10h. Tout le monde hausse le ton et la réunion tourne court. "Il faut d'abord régler les problèmes internes au village avant de pouvoir développer un projet" dit un villageois...

Félin part voir les notables en privé. J'apprendrais plus tard qu'il leur a déjà donnée une petite enveloppe de 10 000 CFA afin que nous puissions passer pour le lac. Il leur a dit que les touristes ne paieront pas 100 000 CFA juste pour passer. Il faut construire un minimum de structure comme une auberge et un restaurant, et entretenir un sentier. En attendant, Roméo me dit "il faut venir, on a besoin de vous, il nous faut le développement". J'explique que je ne partirais pas au lac le jour même et que je dois attendre de connaître l'état de santé d'Adrien avant de revenir avec lui et Aurélie. Ils me demandent pourquoi je suis là, quelles études je fais, des études de tourisme ? J'explique que je voyage pendant mes vacances, du tourisme tout simplement. Le concept n'a pas l'air clair... "tu es là pour des études"... euh non. Incompréhension. Des mundelés sont venus pour étudier des bestioles ou des plantes dans le coin, du coup ils généralisent, et au final, il y a une grosse confusion entre les activités de tourisme et de recherche.

Ce quiproquo général amène quelques situations cocasses : un employé du ministère a tout de même demandé à Aurélie si elle pourrait l'aider... il a acheté une "carte internationale touristique" qui lui permettrait de voyager en France. Sa profession de "touriste chercheur" est bien écrite sur la carte... enfin sur la photocopie. Le sud-africain qui lui a vendu la carte a dû retourner dans son pays avant de pouvoir lui donner l'original (pas de bol) et il aurait eu un accident là-bas (re pas de bol) et n'a pas pu lui envoyer la "vraie" carte (re, re pas de bol). 

Je réexplique tout de même que nous voulons seulement aller voir le lac, prendre des photos et voir les paysages et peut-être des animaux, puis que nous pourrons en parler à d'autres gens qui, eux aussi, viendraient visiter le lac. Mais ce n'est pas ma profession. "Mais tu as un examen après ?"... pfffff... allez, on va dire que oui. Satisfaction et éclats de rire : "ah, il y a toujours un examen !".

Il me raconte que la vie au village est difficile, qu'il n'y a rien. "Chez vous, tout est facile, pour couper l'arbre, vous prenez une tronçonneuse. Nous on doit prendre des haches, c'est fatiguant, on a même plus la force de faire l'amour à une femme". Je tente en vain de lui expliquer que les gens travaillent aussi en Europe, que tout n'est pas toujours facile et qu'il peut être aussi heureux à Boha. Bien sûr, nous avons des tronçonneuses entre autres, mais tout cela n'est pas tombé du ciel (NB : le Congo n'exploite que 2% de ses terres arables...). Peine perdue.

Nous nous retrouvons avec Félin, Gérard et Noël. "Moi aussi je veux parler avec le blanc lance Noël". On nous sert du vin de palme. Il est chaud, le soleil m'a tapé dessus toute la journée et je n'ai digéré que deux bananes... alors je me sens déshydraté et le vin me dessèche encore plus la boîte crânienne ! Nous repartons ensuite vers la pirogue. "Quand tu reviendras, nous te donnerons un couteau" me lance Roméo. Ok !

Sur le retour, des enfants se baignent dans la rivière. Moi je cogite à la suite de l'aventure : je pense que par précaution, Adrien ne va pas revenir à Epena, est-ce que je fais la rando avec Aurélie ? Ou peut-être va t-elle rester à Impfondo alors je fais la rando seul ? Est-ce que de toute façon la rando est possible sans payer ce droit de passage absurde ?

Nous accostons à Epena. On m'annonce : "vos amis sont revenus". "Oh", fait Félin de sa grosse voix. Je suis le premier surpris, mais c'est bon signe, le cas est moins mauvais que prévu. Le médecin a diagnostiquer une conjonctivite : un antibiotique et un anti douleur. L’œil d'Adrien fait quand même grise mine. Il n'y voit pas grand chose avec, la lumière lui fait mal et il y a toujours autant de pus. J'avale une conserve de corned beef puis nous passons tout de même voir Félin. Il est dans son canapé à regarder une série chinoise à laquelle il ne comprend rien.

Nous allons attendre une journée avant de partir afin de voir comment évolue l'état de santé d'Adrien. Gérard nous accompagnera pour l'expédition et doit nous aider à organiser la logistique le lendemain. Nous devrions donc partir tôt le matin en pirogue afin de voir les notables et de respecter leurs rites. Félin nous dit que nous n'avons pas a donnée plus que 10 000 CFA pour le droit de passage. S'ils n'acceptent pas... il abandonne l'affaire ! Il y aura d'autres chemins pour rejoindre le lac !

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