Le moment est enfin venu de tester un voyage en train chez les hindous. Le truc le plus compliqué, c'est peut-être d'obtenir un billet. Les trains sont complets plusieurs jours, voire plusieurs semaines, à l'avance. Ne planifiant mes déplacements qu'au dernier moment, je suis automatiquement embêté. Contrainte supplémentaire, le nombre de places pour les étrangers est limité dans chaque train.
Cela ne m'empêche pas de tenter ma chance au guichet de la gare de Jaisalmer. Là, c'est la pagaille. Un seul guichet est ouvert, l'employé est à 2 de tension et les indiens sont incivilisés au possible. Ils ne respectent pas la queue et il faut jouer des coudes pour se faire respecter, débordement sur la gauche, sur la droite, le mec derrière me colle tellement qu'il peut poser son menton sur mon épaule. Il y a bien un panneau qui donne la priorité aux personnes âgées, aux femmes et... aux touristes au guichet 779. Mais le guichet est fermé. Quelques touristes mettent tout de même à profit cette instruction. Je me contente de respecter l'ordre d'arrivée.
Au moins deux heures s'écoulent. Un mec derriere moi engueule un gars qui n'a pas fait la queue. C'est bien. Le ton monte pendant plusieurs minutes. Le mec se calme finalement quand un gamin devant lui propose de le faire passer tout de suite. Il accepte et tend son formulaire comme si de rien n'était. C'est pas bien. Pauvre type.
Enfin mon tour. Réglé en deux minutes ! Suffit de bien remplir son formulaire de demande. J'ai mon billet pour Jodhpur. Malheureusement, le train Jodhpur-Mumbai est complet...
C'est donc en train que je rejoins Jodhpur, la cité bleue, de la couleur des maisons dont le panorama est particulièrement apprécié depuis le fort surplombant la ville. Le bleu est la couleur des brahmanes, la caste la plus élevée (prêtres et érudits). La peinture utilisée repousserait également les insectes. Le voyage de 6h se fait tranquillement. Au-dela du boucan des rails, des allures de cellules de prison des compartiments et de la proximité des chaussettes odorantes des voisins, ouvrir les fenêtres égaye le tout et permet de voir défiler les paysages, d'une manière plus agréable que par la route.
Pour rejoindre Mumbai, après moults recherches, je commence par un bus direction Ahmedabad, la capitale du Gujarat. Je peux déjà constater que les routes sont en meilleur état dans le coin. Ce que me confirmera Shiv : un homme rencontré à la gare routière d'Ahmedabad. Gare flambant neuve que les chauffeurs de rickshaws ne voulaient pas que je trouve, se jetant sur moi à ma descente du bus 200 m plus loin. Bande de charognards. Le Gujarat est un modèle pour le reste du pays. Gandhi et l'actuel premier ministre, Modi, y sont d'ailleurs nés. Je patiente entre 1h et 4h du matin en discutant avec Shiv. Il n'y a pas de bus direct pour Mumbai. Il me conseille de prendre un bus pour Vadodara et de récupérer un train là-bas. Il me confie qu'il n'aurait jamais laissé son fils partir "à l'aventure" comme je le fais. Je lui pose quelques questions sur les castes, la société indienne. Très intéressant et enrichissant. Et il m'offre le petit déj !
Une fois dans le bus, c'est Haresh, étudiant en médecine homéopatique qui me tient la discussion. Je dormirai... un autre jour. Une fois à Vadodara, j'achète un "general ticket" pour la gare princiale de Mumbai, à la surprise de l'employée au guichet : "no seat ?". J'ai surtout besoin de monter dans un train, tant pis si je ne suis pas assis... il n'y a que 6h de trajet !
Une fois sur le quai, je suis perdu. Mon billet n'a pas d'horaire, ni de numéro de train. Je comprends qu'il est valide pour n'importe quel train vers Mumbai. Un train arrive, il va à Mumbai, banco. Je trouve un contrôleur afin de savoir dans quel wagon je dois aller. Il prend mon billet, le met de côté et parle à la demi-douzaine d'indiens qui se jettent sur lui. J'aime pas trop cette attitude. Il me dit finalement que je pourrais m'assoir à mi-parcours en échange de 250 Rs... mon billet m'ayant coûté 145 Rs ! Il me réponds que je dois alors monter en 2nde classe... c'était ma question initiale. Charognard !
Me voilà à courir sur le quai afin de trouver le bon wagon. Flûte, le train repart ! Je repère une porte ouverte... je saute à l'intérieur ! L'expression citée en titre de cet article prend tout son sens à cet instant.
Une fois dans le wagon, un autre contrôleur me rejoue la scène. Il prend un air sérieux, tourne les pages de son cahier dans tous les sens, écrit des chiffres, les rature, griffonne... au bout de 5 minutes : "- Ok, tu peux t'assoir mais dois payer...
- Une amende, me dit un autre passager.
- Non non, pas une amende, disons 'la différence'.
- Non merci, j'irai en 2nde classe à la prochaine station."
J'insiste. Le contrôleur repart un peu blasé.
A la station suivante, je descends sur le quai... mais la 2nde classe est prise d'assaut, une marée humaine qui déborde largement du wagon. Avec mon gros sac sur le dos, c'est mort. Tant pis, je reviens en sleeper class.
Je passe donc mon trajet par terre, à somnoler sur mon sac, entre les toilettes et la porte extérieure. Je suis content : le train avance vite et je serai à Mumbai vers 11h. Tip top. Je peux savourer le lever du jour et les nouveaux paysages qui s'offrent à mes yeux.
30 minutes avant d'arriver, le contrôleur repasse. Il fait semblant de recontrôler mon ticket et me sermonne du regard : "tu me donnes 125". Je réplique que j'ai bien essayé d'aller en 2nde... il rigole quand il réalise que mon billet indique Mumbai Central alors que le train s'arrête à Borivali, 30 km au Nord. Mumbai, c'est grand.
Finalement, il jette l'éponge et me laisse tranquille. Parcourir 400 bornes en train pour 2 euros : check !