Adrien et son oeil ne vont pas mieux. On peut même dire qu'ils vont moins bien, il a du pus sous la paupière. Le premier hôpital est à Impfondo... à 80 km. Nous passons d'abord voir les bonnes sœurs au dispensaire d'Epena. "Il y a une tâche sur l’œil, il faut voir un médecin". Effectivement, une petite tâche blanche s'est formé sur l'iris... pas bon signe. Son oeil lui fait mal et il n'y voit plus trop. Pas bon signe du tout. Branle-bas de combat, il faut trouver une voiture au plus vite. Dommage, la voiture du WCS est partie pour Impfondo un peu plus tôt. Et les trois autres 4x4 ne peuvent être utilisés ? Non, il n'y a qu'un seul chauffeur !
Nous rencontrons Félin du WCS, le directeur technique, avec qui Adrien était entré en contact pour la visite de la réserve et l'accès au lac Télé. C'est avec lui que nous avons eu notre première discussion par mail pour déterminer le "droit de passage" qu'imposent les habitants du village de Boha. Nous lui expliquons la situation. Il fait venir Franck, le seul taxi du bled : celui-ci demande 50 000 CFA (75€) pour le trajet A/R : "comment est le budget ?" me demande Félin. Le prix est abusif... je lui dis, et propose 30 000. Ce sera finalement 40 000 après une brève négociation. Nous n'avons pas le choix.
J'accompagne Franck pour qu'il fasse le plein puis Adrien embarque avec son sac. Aurélie l'accompagne. Je préfère rester à Epena et accompagner Félin au village de Boha... je veux au moins voir ce village qui devait être le point de départ de notre randonnée. Je sens que celle-ci va tomber à l'eau, quasi persuadé de ne pas revoir Adrien avant de revenir à Brazzaville (dans le meilleur des cas).

Je rejoins Félin et Gérard (originaire de Boha) dans "la coque" équipée d'un moteur. Nous filons sur les eaux. Le paysage est superbe. L'eau est d'une platitude quasi parfaite. Les nuages et l'horizon se reflètent entre les herbes. De nombreux oiseaux nous accompagnent pendant 1h30. Nous saluons les gens croisés sur leur pirogue en tachant de ne pas les renverser avec la vague formée par notre bolide. Hop, un héron s'envole



Nous passons par l'école. Puis devant un terrain vide, on nous explique qu'un autre bâtiment aurait dû être construit. Le village a reçu des fonds mais rien n'a été fait... l'argent a disparu à travers les mains de la notabilité. Raison de plus pour ne pas leur donner de droit de passage !

Puis la réunion va commencer. Les notables, 4 vieux en haillons sont assis en arc de cercle. Noël a la sagaie : c'est lui qui a la parole en premier. Tout se passe dans le dialecte local, donc je ne pige pas une bribe. Par contre, je sens que cela part en vrille. Noël s'énerve puis fini
par s'en aller. Gérard m'explique ce qui se passe : les notables ne veulent pas traiter l'affaire aujourd'hui parce que la réunion doit avoir lieu le matin avant 9 ou 10h. Tout le monde hausse le ton et la réunion tourne court. "Il faut d'abord régler les problèmes internes au village avant de pouvoir développer un projet" dit un villageois...
Félin part voir les notables en privé. J'apprendrais plus tard qu'il leur a déjà donnée une petite enveloppe de 10 000 CFA afin que nous puissions passer pour le lac. Il leur a dit que les touristes ne paieront pas 100 000 CFA juste pour passer. Il faut construire un minimum de structure comme une auberge et un restaurant, et entretenir un sentier. En attendant, Roméo me dit "il faut venir, on a besoin de vous, il nous faut le développement". J'explique que je ne partirais pas au lac le jour même et que je dois attendre de connaître l'état de santé d'Adrien avant de revenir avec lui et Aurélie. Ils me demandent pourquoi je suis là, quelles études je fais, des études de tourisme ? J'explique que je voyage pendant mes vacances, du tourisme tout simplement. Le concept n'a pas l'air clair... "tu es là pour des études"... euh non. Incompréhension. Des mundelés sont venus pour étudier des bestioles ou des plantes dans le coin, du coup ils généralisent, et au final, il y a une grosse confusion entre les activités de tourisme et de recherche.

Je réexplique tout de même que nous voulons seulement aller voir le lac, prendre des photos et voir les paysages et peut-être des animaux, puis que nous pourrons en parler à d'autres gens qui, eux aussi, viendraient visiter le lac. Mais ce n'est pas ma profession. "Mais tu as un examen après ?"... pfffff... allez, on va dire que oui. Satisfaction et éclats de rire : "ah, il y a toujours un examen !".
Il me raconte que la vie au village est difficile, qu'il n'y a rien. "Chez vous, tout est facile, pour couper l'arbre, vous prenez une tronçonneuse. Nous on doit prendre des haches, c'est fatiguant, on a même plus la force de faire l'amour à une femme". Je tente en vain de lui expliquer que les gens travaillent aussi en Europe, que tout n'est pas toujours facile et qu'il peut être aussi heureux à Boha. Bien sûr, nous avons des tronçonneuses entre autres, mais tout cela n'est pas tombé du ciel (NB : le Congo n'exploite que 2% de ses terres arables...). Peine perdue.
Nous nous retrouvons avec Félin, Gérard et Noël. "Moi aussi je veux parler avec le blanc lance Noël". On nous sert du vin de palme. Il est chaud, le soleil m'a tapé dessus toute la journée et je n'ai digéré que deux bananes... alors je me sens déshydraté et le vin me dessèche encore plus la boîte crânienne ! Nous repartons ensuite vers la pirogue. "Quand tu reviendras, nous te donnerons un couteau" me lance Roméo. Ok !
Sur le retour, des enfants se baignent dans la rivière. Moi je cogite à la suite de l'aventure : je pense que par précaution, Adrien ne va pas revenir à Epena, est-ce que je fais la rando avec Aurélie ? Ou peut-être va t-elle rester à Impfondo alors je fais la rando seul ? Est-ce que de toute façon la rando est possible sans payer ce droit de passage absurde ?
Nous accostons à Epena. On m'annonce : "vos amis sont revenus". "Oh", fait Félin de sa grosse voix. Je suis le premier surpris, mais c'est bon signe, le cas est moins mauvais que prévu. Le médecin a diagnostiquer une conjonctivite : un antibiotique et un anti douleur. L’œil d'Adrien fait quand même grise mine. Il n'y voit pas grand chose avec, la lumière lui fait mal et il y a toujours autant de pus. J'avale une conserve de corned beef puis nous passons tout de même voir Félin. Il est dans son canapé à regarder une série chinoise à laquelle il ne comprend rien.
Nous allons attendre une journée avant de partir afin de voir comment évolue l'état de santé d'Adrien. Gérard nous accompagnera pour l'expédition et doit nous aider à organiser la logistique le lendemain. Nous devrions donc partir tôt le matin en pirogue afin de voir les notables et de respecter leurs rites. Félin nous dit que nous n'avons pas a donnée plus que 10 000 CFA pour le droit de passage. S'ils n'acceptent pas... il abandonne l'affaire ! Il y aura d'autres chemins pour rejoindre le lac !
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