

Je ne croise que peu de monde. Peut-être parce que la météo ne s'annonce pas fameuse. Autant il y avait du soleil au départ, autant l'horizon commence à se griser. Lorsque je regarde les sommets, c'est même du noir que je commence à voir. Ce qui m'embête, c'est que je me dirige droit (avec pas mal de zigzags tout de même) vers ces arrosoirs géants.

Je les laisse affalés contre leurs sacs et trace la route. La plage, la vallée... il faut bien monter à un moment ou un autre. 500m de dénivelé m'attendent. Je m'impose d'être là-haut avant de faire ma pause pique-nique. Le tonnerre se met à gronder avant que je ne m'arrête, mais la pluie m'est épargnée. J'ai un petit coup de mou, conséquence de l'enchaînement de peu de sommeil et beaucoup de marche. Je trouve enfin un rocher à une altitude suffisante. La vallée que je viens de remonter d'étale devant moi. J'avale le pain que j'ai chiper au petit déjeuner de l'auberge le matin même. J'avale également une gorgée de la canette énergisant que Ercan m'a offert la veille. Une gorgée seulement, parce que c'est dégoûtant.

J'avance doucement sur ce terrain difficile. Je perds du temps. Mes mollets me parlent : "cela fait beaucoup de cailloux et pas beaucoup de plage", "c'est pas des vacances". Je vois Tekirova au loin, mon objectif. Je ne sais pas combien de kilomètres il me reste. L'après-midi est déjà bien entamé.
Je retombe sur des panneaux m'assurant que je suis au bon endroit. Encore 5,5 km jusqu'à Tekirova ! Ah quand même ! J'espérais être un peu plus près. Mais les marques suivantes ne sont pas très bavardes et plus ou moins effacées, seuls de petits traits rouge subsistent. Plus je les suis et je doute que le chemin soit le bon. Peut-être est-ce un autre sentier que la voie lycienne ? L'océan réapparaît derrière une crête, encore loin, mais je le vois...
Cela ne coïncide pas avec ce que j'avais en tête. Je ressors la carte de mon guide, ma boussole, allume mon téléphone pour le GPS. Tout cela me laisse penser que je ne devrais pas marcher vers la côte, le chemin étant plus ou moins parralèle à elle d'après la carte. Je m'aperçois aussi que le Nord n'est pas bien placer sur ma carte, cela n'aide pas. Mon GPS m'indique que je suis... dans la nature.
C'est à ce moment que la pluie commence à tomber. Timidement, heureusement. Je ne sais pas si je dois rebrousser chemin ou continuer l'aventure vers la côte, et espérer trouver un autre chemin ou, peu probable, une route. Je reviens sur mes pas... mais ne retrouve pas vraiment le chemin. Je suis à moitié perdu. Je coupe à travers la pente pour arriver en haut d'une crête pour y voir plus clair et m'aider de la topographie indiquée sur ma carte. Je vois toujours Tekirova... toujours aussi loin. Il est déjà 17h. Au pire, je marche tout droit à travers la broussaille, j'arriverais bien quelque part. Céder à la panique ne servirait à rien !
Je retombe enfin sur un panneau jaune : soulagement, mais encore 5 km ! Là, les marques sont bien nettes. Je ne les lâche plus d'une semelle. J'avale les kilomètres. Sur ma route, des chèvres, Tiens, je ferais bien une photo. La main plongée dans le sac pour attraper mon appareil, le gardien des chèvres court vers moi en gueulant, je ne sais pas si c'est du turc...
J'aurais dû dire "en aboyant". Le molosse à quelques mètres, je lance un "oooooh" désespéré. Il s'arrête et me regarde. Je retire ma main doucement. Il me contourne et se place un peu plus haut dans la pente. Il est malin le bougre, il veut me sauter dessus ou quoi ?! Baston de regard. Je pense à mon couteau dans le sac... s'il saute, je n'aurais pas le temps de le sortir. Je m'éloigne doucement sous la surveillance du canidé qui part ensuite récupérer les 2 ou 3 chèvres qui en ont profité pour s'éloigner du troupeau.
Le soir, je cède à l'appel des chimères. Dans la mythologie grecque, la chimère est un monstre qui ravageait la région de Lycie : tête de lion, corps et tête de chèvre, queue de serpent. La bête fût vaincue par Bellérophon, fils de Poséidon, chevauchant Pégase. Dans la réalité, du méthane s'échappe de la terre volcanique et s'enflamme au contact de l'air. Un spectacle un peu étrange. Petit bonus, les éclairs illuminent le ciel au loin.